La fin du premier semestre 2014 a particulièrement été caractérisée par la visite de 34 pèlerins venus du Nord de l’Italie à Bukavu avec l’objectif principal de prier sur la tombe de l’Archevêque MUNZIHIRWA assassiné le 29 octobre 1996. L’objectif était également de connaître sa vie afin d’en demander la canonisation mais aussi celle de connaitre les autres martyrs des deux décennies de guerre connues au Sud Kivu.
Parmi ces pèlerins on comptait Mgr Giorgio BIGUZZI, Evêque émérite de Sierra Léone qui faisait partie de la Commission pour la Paix et la Réconciliation après la guerre civile pour le contrôle des diamants ayant ravagé cet Etat de l’Afrique de l’Ouest de 1991 à 2002.
A l’occasion de ce pèlerinage, le Centre OLAME a organisé une table ronde le samedi 28 juin 2014 en la salle Concordia où les pèlerins ont été accueillis par des chants des femmes de diverses confessions religieuses et des mouvements associatifs et politiques de la ville de Bukavu.
Dans son mot d’ouverture, Mathilde MUHINDO directrice du Centre OLAME a rappelé que cet accueil des pèlerins italiens par les femmes à Bukavu avait notamment eu lieu grâce à la prise en compte des paroles d’encouragement de l’Archevêque MUNZIHIRWA dixit : « Ne quittez pas vos maisons, restez en communion et en paix avec vos voisins ». De plus, elle a souligné que le pays est debout à cause de la persévérance et du courage de la femme qui n’a ménagé aucun effort quand il s’agit de la lutte pour la survie. Alors que l’image de la femme du Sud Kivu a été ternie, elle est au contraire une actrice de paix sociale.
Madame Solange LWASHIGA, Secrétaire exécutive du Caucus des femmes congolaises pour la paix a quant à elle résumé l’engagement de la femme du Sud-Kivu pour la paix dans les actions suivantes :
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Regroupement en association pour analyser le contexte de guerre, les nouveaux défis et mettre en place des stratégies de le contourner ;
- Organisation des actions en faveur du rapprochement communautaire notamment la médiation, le dialogue et la transformation et gestion des conflits ;
- Organisation des rencontres de conscientisation et de sensibilisation des parties prenantes aux conflits à différents niveaux ;
- Information, formation, renforcement des capacités et accompagnement des femmes, jeunes filles et des autres membres de nos différentes communautés dans le domaine socio-économique et politique ;
- Vulgarisation des lois de la République, des accords, des conventions ainsi que des résolutions nationaux et internationaux tels la Constitution de la RDC, les Résolution du CSNU 1325, 1820, 1888, 1889, 2106, etc.;
- Documentation à travers la société civile des violations des droits de l’homme ayant eu lieu pendant les conflits, et mise en évidence de l’existence de mécanismes et réseaux internationaux de pillage des ressources naturelles du pays nés de la guerre ;
- Mobilisation des femmes pour le processus électoral comme candidates, observatrices et témoins ;
- Des plaidoyers pour les respects des droits des femmes et la représentation des femmes dans les instances de prise de décision ;
- Différentes actions d’appui, accompagnement et de prise en charge des victimes et des survivantes des violences sous toutes leurs formes ;
- Des plaidoyers pour des mesures de répression des auteurs de violences sexuelles
- Les femmes s’investissent dans des activités économiques (commerce et agriculture, ristourne (100-1000 FC/J) pour trouver de quoi nourrir leurs familles, soigner et scolariser leurs enfants face à la prime scolaire payée par les parents devenue un très lourd fardeau. Ce qui leur vaut le qualificatif de « femme aux mille bras »
Au delà de tout cela, elle a épinglé comme défis majeurs de cet engagement des femmes :
- L’insécurité persistance causée notamment par les groupes armés et bandits non autrement identifiés ;
- La non prise en compte ou faible capitalisation des alternatives de paix et justice tirées des expériences des femmes à différents niveaux. Par exemple, les cadres de dialogue, les comités de justice et de paix, …. ;
- La faible application de lois nationales et internationales, des conventions et résolutions en matière de la paix ;
- L’ignorance de leurs droits et devoirs par plusieurs femmes ;
- L’absence des femmes congolaises comme médiatrices des conflits ;
- L’impunité face aux auteurs des crimes et des injustices même si l’on peut noter quelques avancées dans le domaine de la justice ;
- La persistance du viol et violences sexuelles et basées sur le genre ;
- L’analphabétisme de la femme ;
- La féminisation de la pauvreté,…
De cette intervention, on retiendra que la femme du Sud-Kivu loin d’être une victime est une actrice de paix dont les actions doivent être reconnues et soutenues par tous les acteurs. Solange LWASHIGA a invité les femmes présentes à documenter leurs actions afin de les faire connaitre. Les femmes du Sud Kivu, a-t-elle conclu n’ont pas été totalement anéanties par des guerres et des conflits armés. Elles n’aspirent pas nécessairement aux aides extérieurs, mais elles ont surtout besoin de la paix durable pour faire des miracles. Et compte tenu des signes contextuels, elles doivent rester vigilantes et mettre en œuvre des nouvelles stratégies pour y faire face.
La deuxième intervenante de la journée, Madame Thérèse MUSOLE directrice d’un Centre d’Ecoute et d’Accompagnement psychosocial de la ville de Bukavu, a axé son propos sur l’impact de la guerre sur la psychologie de la population en précisant que ce travail trouve son origine dans les affres des deux décennies de guerres connues au Sud Kivu.
De ce fait, la vie psychosociale de certaines personnes, familles et communautés a-t-elle expliqué est caractérisée par le traumatisme, la dépression, la honte, la peur du lendemain, l’angoisse, le tress collectif,…, avec des incidences sur l’éducation des enfants et la cohésion sociale, d’où une baisse de la qualité de vie.
Mme Thérèse Musole a plaidé pour un soutien aux organisations locales afin qu’elles continuent à aider les femmes qui sont les plus concernées par les dommages ci-haut cités. Elle a clos son mot en insistant qu’il n’ ya pas de développement sans paix et vice-versa.
Il sied de dire que cette table ronde a connu la participation de l’honorable députée provinciale Béatrice KINJA MWENDANGA, élue de la ville de Bukavu et questeur à l’Assemblée Provinciale. Elle a expliqué le rôle d’un député et a présenté quelques édits initiés par elle-même et ses collègues :
- La proposition d’un édit pour l’enregistrement des enfants à l’Etat civil au regard de la faible proportion des enfants y enregistrés, pour autant que le contexte de la province (guerres, déplacements des populations,…) n’y a pas été favorable,
- La proposition d’un édit pour la promotion de la santé maternelle et infantile notamment par la consécration de la gratuité des soins de santé pour les enfants de
moins de 5 ans,…),
- La proposition d’un édit sur l’intégration du genre dans le programme de développement au Sud Kivu,
- L’encadrement et la prise en charge des personnes de 3ème âge par l’Etat congolais,
- Edit sur l’interdiction de l’usage des sachets
Pour terminer, elle en a appelé au soutien de tous les partenaires compte tenu des actions concrètes réalisées par les femmes au Sud Kivu.
Monsieur l’Abbé TARCISIO, porte-parole de la délégation des pèlerins a remercié pour ses brillants et rassurants exposés des femmes. Il leur a remis un cadeau symbolisant une œuvre d’art représentant la Vierge Marie qui présente l’enfant Jésus, œuvre inspirée des écrits de Saint Luc présentant Jésus-Christ comme le chemin, la vérité et la vie.
Il est ressorti des échanges entre les pèlerins et les femmes que les conséquences de la mondialisation qui créent également des difficultés financières en Italie. L’Abbé TARCISIO a insisté sur l’importance de l’éducation et a recommandé aux parents de faire de s’investir
dans l’éducation de leurs enfants malgré les difficultés.
Et, au regard des affres des guerres subies par les populations du Sud Kivu, un accompagnement psychosocial de ses communautés s’impose. Raison pour laquelle le Centre OLAME focalise ses interventions sur la sociothérapie qui est une approche communautaire de reconstitution des liens, des relations sociaux de façon durable, pour la réconciliation, la réinsertion et la détraumatisation en lieu et place des malaises sociaux dont les conflits permanents, la culture de la violence, etc.
Un temps de partage d’un casse-croute offert par les femmes s’en est suivi avant le départ des pèlerins à 14h30’.
Le dimanche 29 juin 2014, les pèlerins se sont entretenus avec Mgr MAROY Archevêque de Bukavu avant la messe et ont ensuite marché de la Cathédrale jusqu’à la place MUNZIHIRWA.
Le 30 juin 2014, ils ont poursuivi leur pèlerinage à Kaniola, en territoire de Walungu où ils ont écouté une série de témoignage à la place érigée en mémoire des martyrs de ce groupement.
Le 01 juillet 2014, la délégation s’est rendue à Murhesa au monastère clarté Dieu des sœurs trappistines où elle a échangé avec elles sur l’assassinat de la sœur Denise KAHAMBU MUHAYIRWA le 7 Décembre 2009.
Du 02 au 04 juin, les pèlerins italiens se rendront à Goma, avant leur retour en Italie prévue pour le 06 juin 2014.